Publié dans la revue Entrevous, no. 9, février 2019. Inspiré du travail de l’artiste Vicky Sabourin et de son exposition Warmblood Vicky Sabourin a participé en 2014 à l'exposition collective Faire comme si, à la salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval. La photographie de la main de l'artiste tenant deux lièvres est une mise en scène pour la caméra. Ces bêtes factices font partie d'une installation qui en compte plus d'une douzaine dispersées sur un sol blanc, pour être manipulées au cours d'une performance. L'oeuvre s'intitule Does it hurt you to hunt it (Ça vous fait mal de les chasser?) Commissaire: Anne-Marie Saint-Jean Aubre *** Étroites maisons de briques en enfilade monter l’escalier très étroit qui mène à l’étage/ à l’arrière : vue sur le Boulevard épiceries quincailleries vaste puits de lumière bleu intense Sur les étagères les tables de bois de métal accumulation d’objets les plus hétéroclites multitude de pots de tout acabit saturés de crayons de plumes d’outils de dentisterie de menuiserie de cuisine ciseaux spatules brosses tubes de couleur d’encre paniers de bois d’osier coffres de cuir surchargés de ferraille caisses entrouvertes besaces sacs rouleaux de papier de carton carnets livres vaisselle cloches de verre protégeant les arbres miniatures faits de brindilles et de mousse meubles d’antan vitrines présentoirs vaisselier aux vitrages bombés commode vernissée tête de lit porte-manteaux chargés de vêtements de campagne de pluie corsage ajouré vieilles chemises de lin Placardées aux murs d’immenses photographies noir et blanc chemins ouverts forêts inextricables lac terres chaloupes à la dérive autoportraits
Et puis un peu partout juchées sur des socles enfouies dans les replis des fauteuils rangées sur les bords des fenêtres de petites bêtes/ souris pigeons par dizaines têtes violacées pattes sanguinolentes corbeaux passerins indigos hiboux inquiets lièvres affaissés endormis/ et de grandes bêtes coyote regard aiguisé chat sauvage en suspension sur une échelle cheval endormi sur les lattes de bois gris Tout de feutre mimés entre les mains de l’artiste illusionniste animaux de mouton d’alpaga/ l’artiste piquant et repiquant de son aiguille dentelée fils entortillés pelotes démembrées couleurs ambrées/ aligner les fibres/ les carder/ les brosser/ embryons de bête affolants de fragilité tricotés au fil des nuits des mois des heures creuses et des cafés serrés L’animal se développe se densifie/ piquant et repiquant l’artiste fait germer entre ses doigts les pattes le cou les plumes et soudainement cette excitation altérée/ malaise presque dégoût de piquer encore au ventre au cœur/ peur de blesser l’animal aux confins du réel/ hésiter dans ses manipulations/ coyote gonflé de véracité tout droit sorti du bois longeant le ruisseau assis à la fenêtre regardant les voitures ralentir sur le boulevard St-Laurent Kyrielle de champignons en porcelaine crottes de souris en or bernacles et mollusques coquillages de céramique papier mâché troncs d’arbres fabriqués à l’instinct du poignet trompe-l’œil quasi odorant sapinière terre fraîche Émailler la porcelaine/ feutrer la laine/ pétrir l’argile/ la battre/ dissoudre la cire/ en sculpter dents et sabots/ mouler le plâtre/ couler le bronze/ texturer dans le moindre détail orfèvrerie maniaque À mi-chemin entre réel et fac-similé entre impression et original entre racines et devenir/ palper/ sonder/ contrôler poids texture densité Rue Clark cœur urbain antre de forêt niché sous les toits lac aquarellé rames de chaloupe loup vautré dans son lit veillant sur les entrées et sorties d’atelier veillant sur l’artiste penchée sur un vingtième pigeon fuselant son petit corps abandonné bombant son torse Quatre mois douze heures par jour en compagnie d’une masse informe se métamorphosant en cheval grandeur nature/ ventre béant dans lequel l’artiste va s’infiltrer/ se calfeutrer le temps d’une performance/ faire corps/ échos d’hommes ayant éventré leur bête pour s’y cacher/ s’y protéger du froid de l’assaillant des catastrophes Rester dans l’ombre/ dans le silence observer l’enfantement d’un monde aux confins des sciences naturelles et de la poésie/ les bus montent le boulevard les passants affairés d’une boutique à l’autre/ le monde qui tourne scande ses rumeurs de métal hivernal L’artiste éteint/ le jour depuis longtemps tombé fourbue lourde de gestes répétés inlassablement/ elle jette un dernier coup d’œil sur sa faune sa flore/ les pas dans l’escalier la porte refermée elle attend son bus les piétons filent la neige tombe doucement le loup veille à l’étage par la fenêtre. Elle se retourne.
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